Un journal témoin d’une infirme partie de l’histoire de la Basse-Lièvre
Justin Léveillé-Smith
Un journal est à l’image de la société avec laquelle il interagit. Mais il est aussi l’héritage de décennies d’histoire qui l’ont précédé. L’histoire de l’info de de la Basse- Lièvre, anciennement connu sous le nom du Bulletin de Buckingham commence en 1958. Cependant, les villes de Buckingham et de Masson-Angers avaient déjà soufflé de nombreuses bougies et possédaient, déjà à l’époque, une histoire des plus riche.
Pour faire l’historique de cette région, il faut inévitablement remonter à plusieurs millénaires dans le passé. La présence des peuples algonquins sur le territoire entourant Buckingham et Masson-Angers remonte a plus de 5000 ans. Les Oueskarini, peuple du chevreuil en langue algonquine, ont longuement occupé le territoire longeant les rivières de la Lièvre et celle de la Petite Nation. Semi-nomades, les Oueskarini furent encore présents à cet endroit lors de la colonisation française de la Nouvelle-France.
Bien qu’au cours des 17e et 18e siècles, de nombreux explorateurs passèrent par la région pour découvrir l’arrière-pays, sans oublier les missionnaires catholiques pour évangéliser et les coureurs des bois pour se rendre à des postes de traite pour le commerce des fourrures, il faut attendre 1799 pour voir l’organisation du territoire entourant la Basse-Lièvre. Connue sous le nom du canton de Buckingham, la région fut cédée à de nombreuses familles d’origine britannique, et ce, dès les premières décennies du 19e siècle. Encore aujourd’hui, il est possible de trouver des descendants de ces familles pionnières de la région: Bigelow, Smith, Carpentier, Cameron, etc. en sont quelques exemples.
De 1830 à 1850, la municipalité de Buckingham, appelée ainsi en hommage au comté britannique du Buckinghamshire, région natale de John Robertson, premier propriétaire terrien du canton de Buckingham en 1799, vécut des changements importants au sein de sa communauté. Depuis le blocus continental de Napoléon, en 1806, la Grande-Bretagne s’était tournée vers ses colonies pour son approvisionnement en bois. Ainsi, la demande en la matière était forte. Des hommes d’affaires de la région avaient remarqué les avantages géographiques qu’apportait la Rivière-de-la-Lièvre pour le commerce du bois. Ainsi, Baxter Bowman fut le premier, dès les années 1820, à établir ce commerce dans la région.
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Au niveau de la population du village de Buckingham, fortement Irlandaise en 1830, elle devint majoritairement d’origine française dès les années 1850. C’est d’ailleurs en 1855 que Buckingham fut officiellement constitué en village. Ces changements démographiques causèrent de fortes tensions sociales au sein de la région de la Basse-Lièvre. Les conflits atteignirent leur paroxysme avec la guerre des Shiners qui durera de 1835 à 1845. Cet affrontement eut principalement lieu entre les bucherons canadiens-français et irlandais. Ce fut d’ailleurs lors de ce conflit que le Québec vu la naissance de la légende entourant le célèbre Jos Montferrand.
La région de Buckingham connut par la suite ce que beaucoup appellent son âge d’or économique. En effet, à partir des années 1860, le commerce du bois était bien établi dans le secteur. Plusieurs hommes d’affaires, dont James Maclaren, firent une suite d’acquisition industrielle au cours des deux décennies suivantes. Surnommé le baron du bois, monsieur Maclaren offrit du travail à bon nombre d’habitants du village de Buckingham ainsi qu’aux habitants du nouveau village de Masson fondé dans les années 1870. Véritable Company Towns, à Masson et à Buckingham il y avait une forte relation entre les hommes d’affaires du coin et la constitution des conseils municipaux.
C’est finalement en 1890 que Buckingham reçut sa charte et est incorporé en ville alors que sa population franchit le cap des 2200 habitants. C’est d’ailleurs dans ces mêmes décennies, de 1880 et 1910 que la ville se modernisa rapidement. Chemins de fer, barrages hydro-électriques, hôpital St-Michel, etc. Le tout sous le contrôle constant du conseil de ville fortement influencé par les industriels de la région et plus particulièrement par les membres de la famille Maclaren. Cette dernière sera d’ailleurs au cœur d’un conflit qui marquera à jamais l’histoire de la région.
L’influence de Buckingham dépassait ses frontières municipales. En effet, un peu plus au nord, le village de Notre-Dame-de-la-Salette a vu arriver ses premiers colons dès les années 1840. Bien qu’habités par de nombreux agriculteurs, beaucoup de travailleurs descendaient la rivière de La Lièvre sur les bateaux à vapeur pour travailler dans les usines de Buckingham. Le village, bien que de taille modeste, a un passé des plus important. Dès les années 1880, le village s’urbanisa offrant de plus en plus de services aux habitants du coin. Cependant, le destin de nombreuses familles changea drastiquement au cours d’un matin d’avril 1908. En effet, un vaste glissement de terrain est survenu et a englouti plusieurs demeures. En se déversant dans la rivière, le glissement causa un gigantesque raz de marée. Ce dernier causa d’importants dommages lorsqu’il frappa l’autre rive de la rivière de plein fouet. 33 personnes y perdirent la vie. Des familles complètes périrent dans le désastre et ça changea le visage de la communauté pour les décennies à venir.
La Basse-Lièvre était aussi connue pour son industrie du graphite. Beaucoup d’ouvriers de Buckingham, Masson, Notre-Dame-de-la-Salette et Angers y étaient employés. Au cours de la seconde moitié du 19e siècle et de la première partie du 20e siècle, Buckingham devint le centre économique de l’Est de l’Outaouais notamment en raison de sa forte concentration de notables et de petits commerçants.
Jusqu’en 1906, la vie à la ville était effervescente comme dans toutes moyennes villes ouvrières du 20e siècle. Cependant, la tension était à son comble chez les ouvriers de la Maclaren Company. En effet, suite à des refus constants de la part de la direction d’augmenter les salaires des ouvriers, la grève éclata. Plus de 400 ouvriers de l’usine refusèrent de travailler paralysant ainsi l’économie de la ville. En raison de l’importance politique du patronat de l’usine, celui-ci avait le soutien de plusieurs membres du conseil municipal. La décision des Maclaren d’embaucher des briseurs de grève armés lors d’une manifestation le 8 octobre 1906 causa une escalade de violence. Les conséquences furent tragiques. Le décès de Thomas Bélanger et François Thériault respectivement président et secrétaire de la section locale de l’Union des journaliers de Buckingham et l’implication de la milice militaire du Canada en sont deux notables exemples. Leur décès restera d’ailleurs impuni. La région restera hantée longtemps par ces événements malheureux.
La compagnie rétorquera face à la grève avec la création d’une liste noire, privant d’emploi les employés ayant participé au conflit ainsi que leur famille proche. Cette décision impactera légèrement la croissance démographique de la région. Il faudra attendre les années 30 et 40 pour finalement voir le syndicalisme entrer dans les principales usines de la région. La Seconde Guerre mondiale accélérant sans doute le processus.
C’est finalement en 1958 que le Bulletin de Buckingham fut créé pour pallier au manque flagrant de journaux locaux de langue française dans la région. Les anglophones avaient déjà depuis 1895 le Buckingham Post, démontrant ainsi l’importance de l’élite historique des anglophones dans la région.
Ce court résumé sur les balbutiements de notre belle région ne peut représenter l’entièreté et la complexité historique que constitue l’histoire de Buckingham et Masson-Angers. Lutte de pouvoir, conflits sociaux, multiculturalisme, urbanisme, politique et personnalités historiques sont tous des sujets qui ont marqué les 350 ans d’histoire écrite de la Basse-Lièvre.
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